Les éditions Rageot #3- Évolutions de la Young Adult

Évolutions des thèmes et des tendances 

La littérature est traversée de tendance et de modes qui vont et qui viennent. Cela est encore plus vrai pour la YA. Afin d’appréhender les tendances, il faut surtout regarder le marché anglo-saxon puisque c’est de là qu’elles viennent.

Il y a eu dans la fin des années 2000-début des années 2010 une grosse tendance dystopique, avec des phénomènes comme Hunger Games (premier tome paru aux Etats-Unis en 2008 et en France en 2009), Divergente (2011) ou le Labyrinthe (2009 aux Etats-Unis, 2012 en France). Puis, une fois ce cycle passé, il y a eu une sorte de flou, où la YA se cherchait. À cette période, les livres extraits des romans auto-publiés sur des plateformes comme Wattpad ont émergé avec le succès par exemple de la trilogie Did I mention I love you paru en France en 2016 ou encore After en 2015. En 2017 le carton de la série Netflix 13 reasons why, permet au roman, écrit en 2007, d’être traduit et diffusée en France. C’est le début de l’essor des romans qui ont été adaptés en séries ou en films (A tous les garçons que j’ai aimés, Five feet Apart…).

Sans avoir disparu, la dystopie n’est plus aussi présente qu’avant et les tendances sont plus éclectiques. Pour Murielle Couëslan, c’est une bonne chose puisque cela permet plus de diversité. L’horreur et le thriller ont augmenté. Il y a eu aussi une tendance à traiter des différentes maladies, physiques ou mentales, avec l’essor des romans de John Green. Cette thématique est par ailleurs en train de descendre en âge et d’atteindre la littérature jeunesse par effet de ruissellement.   

Actuellement la Young Adult est parcourue de micro-tendances bien que les lectures de l’imaginaire restent un pilier, avec la romance. Dans les textes réalistes, on retrouve un peu de tout, c’est la voix du narrateur qui compte le plus. Aux Etats-Unis, il y a eu un essor des romans sur le thème de la diversité, notamment ethnique, mais mis à part avec The Hate U Give d’Angie Thomas qui a été adapté au cinéma, cette tendance n’a pas percé en France. Souvent les thématiques sont le reflet de la société, il y a eu donc aussi une vague Me too dans la littérature YA avec des romans dénonçant le sexisme comme le roman de Stéphane Servant, Félines.

Murielle Couëslan constate également que de plus en plus de lecteurs·rices lisent en VO ou se renseignent sur les publications anglaises avant leurs sorties en France, ce qui fait que parfois, lorsque la traduction parait, iels l’ont déjà lu. Cela peut aussi aider à faire naître un engouement pour un livre avant sa sortie à cause de l’attente de sa traduction en français, c’est le cas par ex pour Le Prince cruel, qui va paraître aux éditions Rageot le 2 septembre, et qui est très attendu par la communauté de fans sur les réseaux sociaux. Cette attente permet de créer le buzz autour d’une parution, ce qui permet de prévoir plus ou moins son succès. Le poids des auteurs·rices anglo-saxons·nes et des best-sellers outre-Atlantique est donc très important par rapport aux auteurs·rices français·es, qui sont encore minoritaire sur ce segment. Il est donc difficile de faire vivre un·e auteur·rice français·e dans ce contexte, notamment lorsque ce sont les romans d’adaptations de films et séries qui cartonnent à l’international qui se vendent le mieux. Cependant, il ne faut pas sous-estimer la curiosité du lectorat YA qui va tout aussi bien lire ces gros titres à succès, mais aussi avoir envie de découverte et prendre le risque de lire un·e auteur·rice français·e moins connu·e.

L’évolution du YA à l’échelle de Rageot

D’après Murielle Couëslan, le marché ados est en déclin depuis que les gros phénomènes littéraires comme Hunger Games et John Green se sont un peu estompés, cependant, ce n’est pas le cas à Rageot.

Le point fort de la maison d’édition est la tranche des 8-12 ans, mais depuis quelques années est née une forte volonté de reconstruire leur offre pour les 13 ans et plus. Iels ont un peu tâtonné et fait quelques achats. Il y a deux ans, iels ont voulu relancer l’imaginaire et cela a bien marché dans leur catalogue donc ils ont décidé de faire des achats de droits à l’étranger. Iels ont donc réussi à augmenter leur lectorat et leur courbe d’achat sur la tranche YA est plutôt ascendante, appuyé notamment sur les textes de Pierre Bottero, mais pas seulement, car ils ont réussi à toucher de nouveaux lecteurs ados et adultes. C’est un pan de lectorat important qu’il n’est pas possible de négliger.

De plus, les libraires font confiance aux choix de la maison d’édition concernant la YA et notamment leurs livres de littérature de l’imaginaire et leurs thrillers.

D’un point de vu éditorial, c’est un marché très intéressant puisqu’il change tout le temps. Malgré la présence, dans le rachat, de plus grosses maisons d’édition qui vont saisir les best-sellers anglo-saxons, Rageot réussit à trouver des pépites plus méconnues à l’étranger afin de les ajouter à leur catalogue.

Évolutions dans les mœurs et dans la perception extérieure de la YA

Pour Murielle Couëslan, c’est difficile à dire puisqu’elle est trop partie prenante pour voir ce genre d’évolution. De son point de vu, la YA a plus de légitimité aujourd’hui parce que beaucoup d’ados sont devenus des adultes et donc connaissent la saveur de cette littérature, sont devenu des prescripteurs ou continue à en lire eux-mêmes. Certains livres YA, par exemple ceux de Pierre Bottero, sont entrés dans la liste de l’éducation nationale, ce qui est une bonne preuve de l’évolution de la perception de ce segment littéraire. La génération Harry Potter a 30 ans maintenant et a fait évoluer les choses. Elle ne veut donc pas continuer à écouter ceux·celles qui décrient la littérature YA et même la littérature jeunesse dans son ensemble, parce que pour elle cela n’a pas de sens, elle sait que les textes choisis par sa maison d’éditions sont bons et cela ne l’intéresse pas de polémiquer avec des gens qui diront que c’est un sous-genre et ne jureront que par la littérature contemporaine, parce que comme partout, il y a du bon et du moins bon dans tous les segments littéraires. Elle déplore cependant la différence de traitement des auteurs·rices dans les salons par exemple, où les auteurrices jeunesses sont dans des hôtels de moins bonnes qualités que les auteurs·rices adultes. Cependant, elle veut rester focalisée sur son travail, bien le faire, bien accompagner ses auteurs·rices et prendre soin de ses lecteurs·rices qui seront les lecteurs·rices adultes de demain. Elle préfère s’intéresser au regard des ados sur son travail, car leur retour positif est une victoire, réussir à les faire lire c’est ce qu’elle vise. Tant mieux si la YA a plus de visibilité mais pour Murielle Couëslan, elle a autant de légitimité qu’une autre littérature et tant pis pour ceux·celles qui n’aiment pas cela. Elle voit d’ailleurs parfois des commentaires sur les réseaux sociaux postés par des adultes sur un de leurs livres, commentaires très poussés et intelligents fait par de gros lecteurs, ce qui permet de prouver que cette littérature touche un public bien plus large que celui des adolescents·tes. Elle termine en disant qu’en jeunesse, on ne peut pas être snob, la seule envie est que les ados lisent des textes et lisent ce qu’ils veulent sans se forcer, le but est de trouver le lectorat.

Futur de la YA : à quoi s’attendre ?

Murielle Couëslan ne sait pas du tout à quoi s’attendre concernant la société post-confinement notamment. Ce qu’elle trouve étonnant, c’est que la situation actuelle lui fait penser à de la dystopie et que peut-être, les lectures de ce genre ont préparé les adolescents·tes à vivre cette épreuve. Quel impact cela aura-t-il dans le choix de lecture ? Elle ne sait pas. Peut-être que les jeunes auront envie de lire des textes dessus ou au contraire lire sur des sujets plus légers ? La YA suit les tendances de société donc que vont-ils vouloir après ? Il est dur de faire des prévisions sur l’influence que l’épidémie aura sur les prochaines années.

Bonus : Murielle Couëslan nous conseille 3 titres de son catalogue

Le prince cruel de Holly Black [à paraitre le 2 septembre], qui est un texte incroyable pour un·e lecteur·rice de l’imaginaire.

Un garçon c’est presque rien de Lisa Balavoine, un très beau texte poétique en vers libre.

Dans la maison, Philip Le Roy, un thriller horrifique.   

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